Les amours fragiles by Anne-Marie Sicotte

Auteur:Anne-Marie Sicotte [Sicotte, Anne-Marie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782764800584
Google: GiApAQAAMAAJ
Publié: 2003-11-15T05:00:00+00:00

Chapitre 12

Une heure plus tard, Évelyne ouvre la porte du réfrigérateur et laisse son regard errer sur les tablettes presque vides. Il lui faut un effort de volonté pour se concentrer sur ce qu’elle voit: un manque désolant de nourriture. Son cerveau cherche mollement une idée de repas. Elle laisse le réfrigérateur se refermer et se rendant à la porte d’entrée, elle contemple l’extérieur. Une autre journée sans mettre le nez dehors. Elle s’est levée tard, s’est livrée à une longue séance de yoga, puis s’est attardée devant son déjeuner. Son esprit, pollué par la longue et stupide soirée de télévision de la veille, a mis un bon moment à s’éclaircir. Elle travaillait depuis une heure à peine lorsque le téléphone a sonné mais elle n’a pu l’ignorer. Si c’était Xavier? La sonnerie déchirait l’air comme une promesse de chaleur humaine, de compassion, d’amour peut-être. Alors Évelyne s’est levée pour répondre. Un chargé de projet du gouvernement voulait des renseignements concernant sa demande de bourse.

Évelyne aurait voulu se rendre au village ce matin faire l’épicerie, mais elle sentait l’élan créatif si proche, à quelques coups de crayons. Il lui reste huit dessins à terminer, et l’exposition commence dans un mois, jour pour jour. Évelyne sent son estomac se contracter et elle s’impatiente de la peur qui s’y installe, cette peur qui sème le tumulte dans son cerveau. Parfois, elle se réveille à quatre heures du matin, le corps en sueur et la tête encombrée de rêves troubles. Comme c’est stupide! Pour une fois qu’un directeur de galerie la sollicite, elle pourrait montrer plus d’enthousiasme! Créer avec ardeur... Mais il y a toujours quelque chose qui bloque. D fait trop chaud, ou trop froid, ou elle manque de sommeil...

Elle ouvre une armoire et considère les boîtes de spaghettis. Elle sent un vide au centre de son être, une faim qui n’exige pas un aliment quelconque, mais le sexe d’un homme. Vingt-trois jours d’abstinence. Privée de caresses, Évelyne entre dans une sorte de léthargie, dans une phase d’attente où ses forces restent roulées en boule à l’intérieur d’elle-même. Xavier appellera-t-il bientôt?

D’un geste énervé, Evelyne referme l’armoire qui résonne d’un bruit sec. Elle se sent fatiguée et inquiète, presque effrayée à l’idée de refaire les mêmes gestes qu’il y a une semaine ou dix ans: sortir les assiettes, peler les légumes, tourner le bouton qui allume l’élément de la cuisinière. Son existence lui apparaît parfois comme une procession de mouvements répétitifs, une litanie triviale et absurde qui lui serre la gorge. Manger pour évacuer, faire l’amour sans jamais être repue, à quoi bon? Quand elle songe à tout cela, elle a l’impression qu’elle s’éparpille en morceaux, que son être éclate.

Heureusement qu’il y a Xavier. Elle n’a qu’à l’évoquer pour que l’éparpillement cesse. Sa présence la reconstitue et lui donne le sentiment d’être entière de nouveau. Il y avait tellement d’années qu’elle n’avait senti ce feu! Depuis quatre ou cinq ans, les hommes sont devenus rares dans la vie d’Evelyne. Elle vieillit... Et puis, elle est lasse de cette procession de corps sans âme et sans cœur.

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